Entretien pour Femmes Magazine

Julia Belova, le piano pour raison d’être

Talentueuse, cultivée, délicieuse, les éloges se bousculent dans la bouche de ses amis et admirateurs lorsqu’ils évoquent cette jeune pianiste d’origine russe à la virtuosité éblouissante. Travailleuse acharnée, en quête permanente du doigté parfait, Julia Belova s’est forgée au fil des années une solide réputation. « Jouer est un bonheur », répète-t-elle à l’envie. L’écouter aussi.

Julia, êtes-vous née dans une famille de musiciens?
Non, pas du tout. Je crois même que c’est parce je n’ai pas été élevée dans une famille au sens classique du terme que la musique a pris tellement de place dans ma vie. Peu après ma naissance j’ai été confiée à mes grands-parents car mes parents se sont séparés. Ma grand-mère est celle à qui je dois tout. Elle n’a jamais joué du piano mais elle a su détecter en moi cette passion. J’avais 6 ans lorsqu’elle m’a emmenée passer une audition auprès d’une école de musique. Depuis la musique est devenue mon horizon.

Si jeune, vous aviez déjà l’amour de la musique?
En Russie, cela n’a rien d’étonnant qu’un jeune enfant soit déjà sensible à la musique. Elle y est enseignée de manière très naturelle. Ici, c’est totalement différent. L’enseignement passe impérativement par le solfège, ce qui en décourage plus d’un. Lorsque je donne cours à mes élèves, je n’insiste pas sur les exercices mécaniques au piano car plus on est crispé, moins on sera en mesure de s’exprimer musicalement. J’essaie d’abord de leur apprendre à savourer la musique, comme cela a toujours été le cas pour moi. Trois fois par semaine, par des températures parfois glaciales (je suis née à Ishim, en Sibérie!), je prenais le bus et faisais un long trajet pour rejoindre l’école de musique.

Vous étiez prête à beaucoup de sacrifices pour le piano?
Absolument. Au point de partir vivre seule à 14 ans à Ekaterinbourg pour suivre les cours du Collège Piotr Tchaïkovsky qui offrait un enseignement classique combiné à celui de la musique. Ma grand-mère m’avait loué un piano et j’en jouais pendant des heures. C’était un bonheur! Pour ne pas déranger les voisins le matin, je partais pour le collège afin de pouvoir m’entraîner pendant 2h dans l’auditorium, jusqu’au début des cours. J’ai caché à tout le monde que je vivais seule pour ne pas voir débarquer des camarades désireux de faire la fête chez moi. Je voulais me consacrer à ma passion, à rien d’autre. Je travaillais, encore et encore. Mon professeur, brillante au demeurant, n’était pas aussi disponible qu’elle aurait dû l’être. Je m’entraînais donc énormément toute seule. Cela s’est beaucoup mieux passé au Conservatoire!

Vous avez fréquenté l’un des meilleurs, n’est-ce pas?
C’est vrai. Le Conservatoire National Supérieur de Musique de l’Oural Modest Moussorsky était et reste l’un des quatre plus grands conservatoires d’Union soviétique. J’étais consciente de ma chance d’y être acceptée. J’ai été l’élève de Margarita Iaroslavtzeva, une extraordinaire pianiste qui avait suivi les cours du grand Heinrich Neuhaus, l’un des plus grands professeurs de piano de son temps. Célibataire, terriblement exigeante, ne vivant que pour la musique, elle se montrait souvent très dure avec ses élèves. Pour ma part, je l’ai adorée!

Vous produisiez-vous souvent à l’étranger?
Lorsque j’ai fait mes études, la Russie n’était pas aussi ouverte que maintenant. C’est pourquoi ma carrière internationale a commencé assez tard. Mon premier récital important s’est fait avec l’Orchestre Philarmonique de Prague, dans la salle où Mozart avait lui-même joué de l’orgue! C’était la première fois que je jouais avec un orchestre. Quelle expérience! J’avais 28 ans, un âge déjà avancé pour démarrer une carrière pianistique. Je me suis rattrapée par la suite et donné des concerts dans des grandes salles européennes, avec des orchestres philarmoniques de qualité.
Pour les jeunes pianistes aujourd’hui, c’est différent; ils passent des concours internationaux et commencent leur carrière très tôt, sans maturité ni vraies connaissances. Pour accéder à des prix, ils jouent souvent le même morceau qu’ils ont répété à l’infini. Chez eux, la technicité prend parfois le pas sur le plaisir de jouer.

Ce plaisir de jouer, il ne vous a jamais fait défaut?
Jamais. Il m’a toujours portée. La discipline personnelle aussi. C’est grâce à la combinaison des deux que j’ai pu faire un troisième cycle d’études approfondies sans même me laisser déconcentrer par la rencontre de celui qui allait devenir mon mari!

Qu’est ce qui vous pousse encore à travailler votre art?
C’est un besoin. Si je trouve un bon doigté dans un passage difficile, je n’ai pas perdu ma journée ! Lors d’un concert, c’est autre chose. Il s’agit avant tout d’une communication, d’un partage. Il y a quelques années, je voulais me mettre en valeur en insistant sur la virtuosité. A présent, je suis convaincue que la virtuosité n’est qu’une étape vers la légèreté. Je suis d’accord avec le critique littéraire Adrei Markovitz lorsqu’il dit : « La technique est là pour aider, puis elle doit se faire oublier. La technique est là pour vous sourire. »Quand on entend Horowitz, on le comprend. Mon répertoire s’est ainsi modifié. J’essaie de ne pas surcharger un programme de concert afin que la musique demeure un langage sans barrière. C’est la raison pour laquelle mon dernier CD, Russian Dolls, est dédié aux enfants…

Pourquoi avez-vous choisi de vivre au Luxembourg?
Par un heureux concours de circonstances. La société pour laquelle travaillait mon mari avait une succursale ici et il devait y travailler quelque temps. Le responsable de l’organisation des concerts à l’auditorium de la Banque de Luxembourg m’avait entendu jouer et m’a proposé de m’y produire. C’était un endroit merveilleux où j’avais assisté peu de temps auparavant à un concert donné par le grand Grigory Sokolov. J’y ai finalement enregistré mon premier CD! Il fallait aussi convaincre mon mari de rester au Luxembourg. Comme il appréciait également le pays, cela ne fut pas très difficile!

Vous avez enregistré il y a peu votre quatrième CD; qu’avez-vous actuellement au programme?
Des tas de choses qui m’enchantent! Ainsi, je travaille avec le basse Alexander Anisimov. Cet artiste russe a chanté dans les plus grands théâtres: La Scala, le Metropolitain, l’Opéra Bastille. L’accompagner est un réel bonheur. Avec la réouverture du Centre Culturel Russe, j’espère avoir l’occasion de renouer avec mes origines. Prochainement, à l’auditorium de la Banque de Luxembourg sera organisée une soirée où j’interprèterai les auteurs baroques italiens. Enfin, je prépare une série de concerts de Noël avec Voices Internationals, une chorale que j’accompagne au piano et qui représentera le Luxembourg au Festival de New York.

Récemment j’ai découvert le jazz et je me suis inscrite au Conservatoire du Luxembourg pour apprendre l’improvisation. J’ai eu la chance d’y rencontrer un professeur extraordinaire.